Quand une génération se sent menacée par une autre, on observe toujours une réaction instinctive de protection cherchant à défendre bec et ongle son acquis sur fond de « c’était mieux avant »… mais pourquoi vouloir entrer en conflit pour protéger son territoire quand la cohabitation est possible ? C’est le sujet que j’avais envie de traiter aujourd’hui concernant la relation entre les blogueurs et les journalistes.
Etant moi-même blogueuse, il est certain que je ne suis pas neutre dans l’écriture de cet article. C’est d’ailleurs en me sentant « victime » des critiques généralistes de certains journalistes que j’ai développé une sorte de réaction épidermique à ces messages souvent dénigrants, non je ne parle pas de ce blog spécifiquement mais plutôt du blog que j’édite sur le thème de l’automobile. Mais peu importe la thématique du blog, pourquoi devrait-on laisser dire et faire sans jamais s’y opposer ? Le conflit ce n’est pas ma tasse de thé, je suis plus généralement payée à les éviter, mais le problème c’est que face à la peur de l’inconnu, la discussion est forcément déséquilibrée car les arguments se fondent souvent sur du « on dit ».
Des mutations inéluctables
Là je parle du microcosme de l’édition de contenu traditionnel vs web, mais ceci s’applique aussi à des modèles que l’on connait tous, le commerce de détail mangé par la grande surface qui regarde d’un mauvais oeil les acteurs du e-commerce…
En fait c’est toute la transformation numérique qui bouleverse l’économie et donc les modèles établis. Comme toujours il y a ceux qui évoluent et s’adaptent plus ou moins rapidement, et ceux qui pensent que « ça ne marchera jamais » et « on a toujours fait comme ça » sont des phrases miracles qui vont les épargner des évolutions rapides de notre société de consommation, et pour eux la transformation numérique consiste à avoir des smartphones et des ordinateurs connectés au web. On n’est pas mal barré…
Je peux comprendre que dans certains métiers, les changements entrainés par l’informatisation puis la vague de transformation induite par le numérique sont trop rapides, on ne comprend pas, on est perdu … on préfère rester sur ce que l’on connait depuis toujours. Et peut-être que poussé par des générations plus jeunes (ou un business moribond) on décide de se faire guider et conseiller pour comprendre et intégrer ces nouveaux acteurs de l’économie (c’est une de mes missions au quotidien, dans mon autre vie que celle de blogueuse).
Là où on peut comprendre que des entreprises du BTP ou de l’industrie trainent des pieds pour suivre l’évolution, il est quand même beaucoup plus surprenant voire inquiétant d’observer que ceux qui font notre actualité : papier, TV, radio … et qui sont sensés transmettre du savoir et de la culture, sont pour certains complètement à la ramasse… « Youtube n’est qu’un truc pour regarder des chatons faire des conneries », « Twitter n’est qu’un ramassis d’infos sans intérêt » et « Facebook n’est qu’un pilleur de données personnelles »… il va peut-être être temps de se faire une petite session de rattrapage.
Mais pourquoi les journalistes se sentent-ils menacés par les blogueurs ?
En fait ils ont bons dos ces blogueurs, globalement on les accuse d’être jeunes, inexpérimentés, de se vendre contre un coupon de réduction (j’exagère à peine), etc etc … et donc de voler le travail d’honnêtes journalistes car il s’agit d’une concurrence déloyale. Bon je ne suis plus si jeune, pas si inexpérimentée et je me vends pour beaucoup plus cher qu’un coupon de réduc’ , ah mince ça ne colle pas ! Bon je pourrais tout aussi dire que tous les journalistes sont imbus d’eux même et vieux (de bons « vieux cons » comme on les aime), ça serait une même généralité qui n’a absolument aucun fondement et aucun intérêt. En fait les photographes rencontrent aussi le même problème entre les professionnels et les amateurs avertis / passionnés.
Alors oui dans certaines thématiques il y a des proportions de jeunes étudiants qui éditent des blogs, c’est d’ailleurs le cas dans la blogosphère beauté ou même dans celle du voyage (ça m’avait surpris mais oui les blogueurs voyage sont jeunes), mais l’âge est-il réellement un problème ? Pas vraiment… je pense que les journalistes sortis de leurs écoles ont également commencé à chercher à écrire autour des 24 / 25 ans alors pourquoi des piges dans un canard seraient si différentes d’un article sur un blog, tout simplement parce qu’il y a une hiérarchie, un comité de relecture… ça n’en fait pas vraiment une information plus fiable (on le voit de plus en plus avec la désinformation ambiante des médias…ah oui c’est vrai c’est la faute du « stagiaire »).
Bref ce qui fait vaciller le modèle des médias traditionnels c’est surtout la sacro-sainte publicité, car privés de revenus publicitaires (et sans subvention étatique) ces médias ne survivent que difficilement, qu’il y ait ou non des blogueurs sur cette planète. Alors il est plus facile d’accuser les blogueurs d’être des vendus parce qu’ils sont payés à parler d’un produit (ou qu’ils en parlent parce qu’on leur a offert le produit/service), mais il ne faut surtout pas toucher aux médias qui sont sponsorisés par quelques grands groupes et qui écrivent en toute liberté et sans aucunes contraintes (*lol*), cherchez l’erreur.
A mon sens, cette guerre n’est que la résultante d’une jalousie de l’enfant unique qui voit débarquer un petit frère ou une petite soeur à la maison… M*rde il faut partager le gâteau maintenant ! Vais-je toujours avoir l’attention sur moi ?
Si vous écoutez bien les quelques journalistes qui se plaignent des blogueurs, c’est souvent pour des raisons bassement matérielles… Les voyages de presse c’était mieux avant, oui ils étaient chouchoutés voire même pourris-gâtés dans certains univers (oui la bagagerie complète de tel constructeur, ou les vêtements de tel autre leur manque … maintenant qu’il y a essentiellement une clé USB et un livre à l’issu d’un voyage de presse), les voyages sont aussi plus courts parce qu’il faut faire des sessions supplémentaires (pour accueillir cette nouvelle génération de blogueurs, youtubeurs, instagrameurs, etc).
Dans le cas de l’automobile, il se dit même que les blogueurs cassent les autos et ne les respectent pas … c’est l’hôpital qui se fout de la charité puisqu’on a l’écho inverse quand on va emprunter des voitures en parc presse. Bref vous l’aurez compris c’est beaucoup de jalousie et mesquinerie… ce n’est pas réellement un problème de modèle économique, juste un gros problème humain. On accuse l’autre avant de se remettre en question, c’est tellement plus simple.
Concurrence déloyale ou pas ?
Oui et non, une bonne réponse de Normand 🙂
Oui les blogs sont une concurrence directe aux médias traditionnels. Ce n’est pas tant parce qu’ils sont gratuits, même si cela y a forcément contribué, mais parce que la blogosphère offre une variété de points de vue et de liberté de ton (et une fraîcheur) qu’on ne trouve presque plus dans d’autres médias aussi bien presse écrite que radio (il y a encore bien quelques libertés prises à la télé et encore…). On est une génération qui picore du contenu (et encore plus avec l’arrivée des smartphones), à part quelques passionnés (et j’en connais) on se fout d’acheter un magazine de 50 pages (dont 20 de pubs) si seules 3 pages nous intéressent. C’est ce que nous offre le web maintenant, la manière de gérer librement les informations (et notre infobésité) avec ce que l’on consomme et partage.
Et c’est finalement bien là le problème de fond, les médias prennent le virage du numérique avec de nombreuses années de retard, qu’ils essaient de combler tant bien que mal (enfin surtout plus de « mal » que de « bien ») sans business model viable (car le nerf de la guerre, la pub, est devenu plus réticente à favoriser seulement les médias). Du coup des journalistes qualifiés perdent leur emploi et le coupable tout trouvé c’est le blogueur… ce jeune (ou beaucoup moins jeune) qui écrit par passion, qui passe des heures en plus d’un autre travail pour essayer de faire vivre une communauté de lecteurs, à trouver des solutions de partenariats pour maintenir son site en vie (oui un blog peut aussi coûter de l’argent) … et pourtant on a souvent annoncé la mort des blogs depuis 2008 (j’en rigole encore).
Bref il y a de la place (et du lectorat) pour tout le monde journalistes, blogueurs, youtubeurs. La cohabitation est toujours possible si on dépasse certaines problématiques bassement matérielles. Et comme dans tous les domaines il y aura toujours du bon et du moins bon … de bons journalistes et des mauvais, de bons blogueurs… et des mauvais … bref vous avez compris, arrêtons de stigmatiser, les deux peuvent perdurer et sans avoir à se tirer dans les jambes.